- ROUTIÈRE (SÉCURITÉ)
- ROUTIÈRE (SÉCURITÉ)Depuis l’époque des bandits de grands chemins et des diligences, les progrès successifs de l’ordre public et de l’industrialisation ont puissamment encouragé le développement des déplacements, qui sont devenus une activité tout à fait ordinaire utilisant des moyens de transport toujours plus perfectionnés. Mais, en contrepartie de cet accroissement de mobilité, l’humanité paye un tribut toujours plus considérable aux accidents de la route, qui sont devenus un fléau social: l’Organisation mondiale de la santé évaluait à sept cent mille, en 1993, le nombre des usagers tués chaque année dans le monde par les accidents de la route. L’évaluation économique des dommages atteint des chiffres impressionnants, même s’il est bien difficile de cerner leur coût pour la collectivité lorsqu’ils ne sont pas indemnisés. Le coût social de l’insécurité routière pour 1993 a été évalué à 121 milliards de francs, réparti par moitié entre les accidents corporels et les accidents seulement matériels. Les compagnies d’assurances couvrent environ la moitié de ce coût (65 milliards de francs pour les accidents de 1992: 18 milliards pour les sinistres corporels et 47 milliards pour les sinistres matériels). Le phénomène des accidents, qui commence à être mieux maîtrisé dans beaucoup de pays industrialisés, garde un caractère explosif dans bon nombre de pays en développement, où la motorisation est en croissance rapide.1. Chiffres significatifsLes accidents de la route sont ainsi responsables de près de 2 p. 100 des décès survenant en France (en 1993: 9 052 morts et 189 020 blessés) et constituent la première cause de mortalité pour les tranches d’âge allant jusqu’à vingt-cinq ans. La moyenne d’âge des tués avoisine quarante ans, celle des blessés trente ans. La gravité de l’accident augmente avec l’âge, cela étant dû, pour une part, à la moindre résistance des personnes âgées à un traumatisme. Mais, surtout, il faut retenir que les handicaps permanents résultant des accidents de la route, handicaps qui frappent chaque année plusieurs dizaines de milliers de personnes, font sentir leurs effets pendant des dizaines d’années.Ces risques se différencient selon plusieurs facteurs (cf. tableau). À égale intensité de circulation (un milliard de véhicules-kilomètres parcourus), le trafic sur autoroute provoque sept morts et, sur les autres routes, environ trente; pour l’ensemble du réseau, la moyenne se situe autour de vingt-six. Ce taux de risque a d’ailleurs constamment diminué en France depuis une vingtaine d’années. Même au cours de la période 1960-1972, où la croissance du nombre des accidents et des victimes a provoqué une prise de conscience des pouvoirs publics, le niveau de risque a légèrement diminué, l’ampleur des accidents croissant moins vite que le trafic. Des réductions plus importantes ont été obtenues depuis lors, notamment de 1972 à 1975, mais cette évolution favorable n’a pas toujours compensé la croissance du trafic. Cette valeur de risque classe la France au huitième rang des pays de l’Union européenne; le risque est de moitié au Royaume-Uni ou aux Pays-Bas, des deux tiers en Allemagne (qui était au même niveau que la France vers 1973). La Suède, les États-Unis et le Japon ont aussi des valeurs de risque nettement plus faibles. Cela est dû à une politique énergique combinant l’aménagement du réseau, l’éducation des usagers et les moyens employés pour faire respecter la réglementation de la circulation et, notamment, la limitation de vitesse.2. Causes des accidents et moyens de préventionPour analyser le phénomène des accidents de la route, il est classique de distinguer trois éléments: le véhicule, l’infrastructure et le conducteur (ou plus généralement l’usager). Il importe cependant de considérer que ces éléments forment un système au sein duquel le mauvais comportement de l’un peut être pallié, dans certaines limites, par la qualité de celui des autres.Cette observation vaut particulièrement pour le conducteur, à qui revient la responsabilité et le rôle de «régulateur du système» (au sens de la cybernétique): «le conducteur doit rester maître» de son véhicule ou de sa vitesse. Il serait cependant simpliste de considérer cette recommandation comme une norme qui permettrait d’attribuer, à tout coup, à l’usager la responsabilité de l’accident. Bien au contraire, les contraintes, les imperfections inhérentes au conducteur sont à prendre en compte dans l’évolution des autres éléments du système: le véhicule, l’infrastructure et aussi les autres conducteurs s’ils veulent faire preuve de prudence.L’analyse en profondeur d’accidents réels conduit d’ailleurs, très généralement, à constater la présence de plusieurs facteurs constituant une «chaîne causale», plutôt que celle d’une cause unique. Ainsi, pour chaque accident, peut-on trouver divers types d’actions préventives qui auraient pu, en supprimant certains facteurs, interrompre la chaîne des causes et éviter l’accident, ou au moins réduire sa gravité. Il est donc exclu de vouloir répartir les accidents entre les diverses causes possibles, alors que l’on peut évaluer les nombres d’accidents ou de victimes évités par telle ou telle action préventive.L’infrastructure routièreL’analyse des accidents permet également de préciser l’influence des particularités de l’infrastructure routière: pour des raisons évidentes, la route présente des configurations infiniment variées et le conducteur doit y adapter ses manœuvres. L’examen des statistiques montre tout aussi clairement que toutes les sections de route ne sont pas équivalentes de ce point de vue. (Nous avons déjà comparé l’autoroute et la route ordinaire.) Une analyse plus fine, confrontant des sections de route aux caractéristiques analogues, fait apparaître des zones de concentration d’accidents qui peuvent quelquefois trouver une explication simple: chaussée anormalement glissante, provoquant la perte de contrôle du véhicule par temps de pluie, accotements plantés d’arbres, qui aggravent les conséquences d’une sortie hors de la chaussée, etc. Mais cette concentration peut être plus souvent attribuée à une manœuvre inadaptée du conducteur, et il convient de rechercher ce qui a pu l’induire en erreur ou l’empêcher d’éviter la situation dangereuse: largeur d’une avenue incitant à une vitesse excessive pour la circulation en ville, faux-plat masquant un véhicule venant en sens inverse, etc.Il est donc essentiel que les infrastructures et leur environnement soient conçus de façon à ne pas imposer aux usagers de difficulté excessive et à leur permettre de percevoir clairement les exigences auxquelles ils doivent adapter leur conduite, en évitant que la route ne présente une apparence trompeuse et ne constitue un piège auquel l’usager se laisse prendre. Le conducteur pourra ainsi trouver les indices qui lui feront différer une manœuvre de dépassement, ralentir avant un virage à faible rayon ou céder la priorité à un carrefour masqué. Pour que ces indices soient bien interprétés, il faut qu’ils puissent être «lus» sans difficulté excessive: une des qualités de la route sera donc sa lisibilité, la facilité à y percevoir le niveau réel de risque associé à telle vitesse ou à telle manœuvre.Bien entendu, la signalisation joue un rôle important au sein de cet environnement pour compléter et préciser, par ses signes conventionnels, les situations auxquelles le conducteur doit se préparer. De même, les aménagements de sécurité viseront souvent à alléger la charge de travail imposée au conducteur en simplifiant les situations présentées: en donnant à la route des caractéristiques plus homogènes le long d’un itinéraire, par exemple, ou en séparant les points de conflit des différents courants de trafic dans un carrefour complexe. L’éclairage facilite la perception de nuit, qu’on l’utilise de façon répartie ou aux points de conflits potentiels (passages piétons, carrefours).Le véhiculeL’analyse des accidents montre que, dans un petit nombre de cas seulement, le mauvais état d’entretien du véhicule apparaît comme le facteur principal (défaillance mécanique, rupture de frein, éclatement de pneumatique, etc.). Bien plus souvent, le comportement dynamique du véhicule intervient dans la genèse de l’accident en liaison avec la capacité du conducteur à maîtriser la situation critique qui aboutit à l’accident.Un véhicule est dit sûr s’il est fiable (absence de pannes ou défaillances), mais également peu sensible aux perturbations extérieures (irrégularités de la chaussée, coup de vent, etc.) ou aux erreurs de manœuvres qui doivent pouvoir être corrigées aussi largement que possible par un conducteur moyen. Ainsi, le terme de «tenue de route» recouvre des réalités toutes différentes selon qu’il s’agit d’une voiture de course, pilotée par un expert sur une piste spécialement aménagée, ou de la voiture du premier venu.Les qualités ergonomiques, qui allègent la tâche du conducteur, sont aussi un facteur de sécurité: la facilité de lecture des cadrans et voyants, la bonne disposition des commandes simplifiant les gestes nécessaires évitent de trop retenir l’attention du conducteur, qui doit se porter, aussi, sur la route et les autres véhicules.Enfin, lorsque l’accident survient, la résistance du véhicule au choc peut contribuer à limiter la gravité de l’accident, en assurant une certaine protection des occupants. Nous reviendrons plus loin sur cet aspect, qualifié de «sécurité secondaire» ou de «sécurité passive».Le conducteurL’opérateur humain joue donc un rôle essentiel dans le système de circulation. Il met en œuvre ses capacités perceptives pour appréhender l’environnement routier (la route, ses abords, la signalisation, les autres usagers), et il réagit pour adapter la manœuvre de son véhicule (ou sa propre marche, s’il est piéton). Son comportement peut être influencé par de nombreux facteurs qui peuvent contribuer à fausser la perception des risques ou à faire accepter des risques excessifs. Ces derniers sont variables d’un usager à un autre et, pour un même usager, d’un moment à un autre.Citons, en premier lieu, l’état physique: déficiences visuelles ou auditives, fatigue, action de l’alcool ou de certains médicaments – il est bien connu que le risque d’implication dans un accident augmente rapidement avec la quantité d’alcool contenue dans le sang. La longue durée de travail des conducteurs routiers professionnels produit des effets semblables. Cependant, l’expérience de la conduite contribue fortement à réduire le risque d’accident, qui est nettement plus élevé chez les conducteurs débutants. À partir d’une formation initiale à la conduite, les connaissances et les habiletés s’enrichissent au cours des premiers milliers de kilomètres, où se rencontrent des situations de conduite plus variées: meilleure stratégie pour rechercher les indices nécessaires à la conduite, meilleure coordination des manœuvres, etc.Une caractéristique essentielle de la circulation automobile, comparée aux autres modes de transport, vient de ce que les conducteurs ne sont généralement pas des professionnels. La sélection rigoureuse qui préside au choix des pilotes d’avions de ligne ou des conducteurs de trains est ici d’autant plus inapplicable que le droit de conduire une voiture est devenu, peu à peu, l’un des aspects de la «liberté d’aller et venir». Mais la conduite d’un véhicule met aussi en jeu bien d’autres aspects qui ne lui sont pas particuliers. Des attitudes générales et des comportements d’impulsivité ou de prudence, d’agressivité ou de respect de l’autre, de conformité à la norme légale ou de transgression, fruits du caractère, du contexte social et de toute l’éducation de chacun, vont déterminer les décisions et les attitudes pratiques, l’acceptation ou le refus de certains risques dans le conflit psychologique permanent entre les contraintes – qui doivent assurer la sécurité des usagers de la route – et le désir des satisfactions liées à la conduite: atteindre rapidement le but du voyage, manifester sa maîtrise d’un engin puissant, trouver une compensation à des insatisfactions ressenties dans d’autres domaines, etc. Le fait que ce conflit existe en chaque conducteur explique que l’autorité publique, plutôt que de s’en remettre à la prudence de chacun, ait fixé des règles objectives pour l’appropriation de l’espace routier (par exemple, l’interdiction de franchir une ligne médiane) ou celle du temps (priorité au véhicule venant de droite). Mais l’existence de ces règles ne détermine pas toujours le comportement des usagers qui les déclareront inapplicables si le conflit psychologique cité plus haut est tranché dans un autre sens.3. Réduction des accidentsÀ moins d’une transformation radicale qui remplacerait la route par des rails, aucune solution simple d’aménagement des véhicules, des routes ou des règles de circulation n’éliminera les accidents de la route, et il convient donc d’examiner ce qui se passe lorsqu’un accident est devenu inévitable; un véhicule vient heurter violemment un obstacle, un autre véhicule ou un autre usager, et le choc blesse plus ou moins gravement les passagers. Ces blessures sont directement liées aux forces et aux accélérations très grandes appliquées pendant le choc pour modifier brutalement les vitesses et absorber l’énergie cinétique emmagasinée par les véhicules en mouvement.Limitation de la vitesse et protection des usagersLa vitesse augmente le risque d’accident en rendant plus difficile le contrôle du véhicule; elle aggrave l’accident, de même que la rigidité de l’obstacle: à vitesse égale, il vaut mieux rencontrer une meule de paille qu’un arbre ou un mur. C’est pourquoi des travaux très importants ont été réalisés sur les principales routes françaises, comme sur les autoroutes, pour protéger les obstacles rigides situés aux abords de la chaussée par des glissières qui, évitant le choc de plein fouet, retiennent le véhicule en perdition et le ralentissent plus progressivement. Parallèlement, des obstacles plus légers, comme les poteaux d’éclairage ou de signalisation, peuvent être rendus à dessein plus fragiles pour réduire la violence du choc.La conception des voitures a intégré, elle aussi, la notion d’élément déformable absorbant l’énergie du choc, au moins pour le choc frontal, le plus fréquent. Pour assurer la protection des passagers retenus par des ceintures de sécurité, il faut également préserver l’intégrité de l’habitacle contre l’intrusion d’éléments mécaniques (bloc moteur, colonne de direction). On estime que la ceinture de sécurité, à elle seule, réduit de moitié le risque d’être tué dans ce type de choc; et de nouveaux perfectionnements sont encore possibles: la protection par coussingonflable commence à être diffusée par les constructeurs d’automobiles. Des améliorations sont aussi apportées à la résistance de l’habitacle vis-à-vis des chocs latéraux, qui sont fréquents en agglomération.Les usagers de deux-roues et les piétons sont, bien entendu, beaucoup plus mal protégés. Le port du casque, qui est maintenant obligatoire en France pour tous les deux-roues à moteur, a contribué à réduire la gravité des lésions crâniennes. On continue à chercher comment améliorer la conformation des voitures pour réduire la gravité des blessures causées aux piétons.Enfin, une intervention rapide des secours et des soins appropriés contribue aussi à réduire la gravité des conséquences d’un accident. La France s’est dotée d’un réseau de services d’assistance médicale urgente (S.A.M.U.) et de services mobiles d’urgence et de réanimation (S.M.U.R.) qui couvre déjà une grande partie du territoire et permet, lorsqu’un accident grave est signalé, d’envoyer sur place une équipe médicale dotée de moyens de soins intensifs. Pour faciliter l’alerte, les autoroutes et les grands itinéraires sont équipés de bornes d’appel d’urgence.La politique française de sécurité routièreL’ampleur des conséquences des accidents de la route a conduit les pouvoirs publics, dès avant 1960, à entreprendre la lutte contre ces accidents, malgré leur aspect multiforme. La nécessité de coordonner les actions dans les différents domaines a été reconnue vers 1970: la sécurité routière a fait l’objet d’un programme finalisé au VIe plan (1971-1975) combinant l’amélioration des routes, la mise en place progressive des S.A.M.U. et des S.M.U.R., ainsi que la réforme de l’examen du permis de conduire. De plus, malgré la résistance d’une partie du public, d’importantes mesures ont été prises visant à réglementer la vitesse, à exiger le port de la ceinture de sécurité, à vérifier le taux d’alcool dans le sang, en s’appuyant sur les résultats d’études et de recherches comme celles de l’Inrets (Institut national de recherche sur les transports et leur sécurité).Instauré en 1970, le taux légal d’alcoolémie est passé, en 1994, de 0,8 à 0,7 g/l de sang. D’abord liés aux accidents graves, les contrôles de l’alcoolémie des conducteurs ont été intensifiés et ont pris un caractère plus préventif à partir de 1978 et 1981, avec l’utilisation d’appareils analyseurs d’haleine évitant les difficultés liées à la prise de sang.À la suite d’expériences menées en 1961 et en 1969, la limitation de vitesse a fait l’objet d’une mesure générale en 1973, en même temps qu’était rendu obligatoire le port de la ceinture de sécurité. La vitesse en agglomération a été ramenée à 50 kilomètres par heure en 1990, avec des modulations à 30 et 70 kilomètres par heure. En 1992 a été instauré le permis de conduire «à points» (les infractions d’une certaine gravité étant sanctionnées par le retrait d’une partie des points): quatre cent mille conducteurs ont été ainsi sanctionnés en 1993.Parallèlement à l’action réglementaire, des campagnes d’opinion sont menées systématiquement par la Délégation interministérielle à la sécurité routière pour parfaire l’éducation du public en matière de sécurité et créer un contexte social favorable, bien que ces actions remettent quelque peu en cause la circulation automobile comme symbole de la liberté individuelle. En 1983, des enquêtes techniques sur les accidents graves (programme Réagir) ont été lancées et des contrats d’incitation proposés par l’État aux départements et aux grandes villes pour des actions de sécurité routière.Bien que les résultats obtenus depuis 1973 soient importants, l’insécurité routière est encore excessive et ne peut être considérée comme une fatalité. Les grands risques technologiques ont conduit à développer l’analyse du danger dans les systèmes techniques complexes et les outils de maîtrise de ces risques où se conjuguent facteurs techniques et humains. L’insécurité routière ne mérite pas moins d’efforts de la part de la société humaine qu’elle menace. Les actions destinées à prévenir les accidents de la route ou à réduire leurs conséquences ont déjà fait la preuve de leur efficacité. De nouveaux progrès sont envisageables pour peu que les autorités nationales et locales, les leaders d’opinion, les industriels, les organismes de recherche acceptent de conjuguer leurs efforts afin d’attaquer ce fléau social dans toutes ses dimensions.
Encyclopédie Universelle. 2012.